XVII
LE CHOC DES LAMES

Bolitho était dans la chambre des cartes de l’Odin lorsque Inch vint lui rendre compte : la vigie avait aperçu le brick Le Rapide qui arrivait du sud-ouest à faible vitesse.

Bolitho jeta les pointes sèches sur la table et sortit au jour. Le commandant Lapish espérait visiblement renforcer l’escadre de ses faibles forces, quelles que fussent leurs chances.

— Signalez au Rapide dès que vous pourrez. Dites-lui de « retrouver le Ganymede et de harceler l’ennemi sur ses arrières ».

Cela pouvait empêcher la seule frégate française en vue de prendre les gros bâtiments à revers, ou au moins de laisser à l’Epervier de Duncan, qui se trouvait dans le nord, le temps de les rejoindre.

Inch regarda les pavillons monter aux vergues et lui demanda :

— Attendrons-nous l’arrivée du commodore, amiral ?

Bolitho hocha négativement la tête. L’escadre française s’était formée en une ligne de bataille assez lâche, mais qui n’en était pas moins formidable. Le second de la ligne arborait une marque de contre-amiral. Remond. Le sort en était jeté.

— Non, je ne pense pas. Si j’avais plus de temps devant moi, je n’hésiterais pas. Mais attendre permettrait à l’ennemi de rester dans la baie et de prendre l’avantage du vent, alors que le reste de notre escadre serait vent debout.

Il leva sa lunette et examina le vaisseau de tête. Un deux-ponts qui avait déjà mis ses pièces en batterie, alors qu’il était encore à trois milles. Un bâtiment puissamment armé, sans doute un quatre-vingts. En face, l’Odin aurait affaire à forte partie.

C’était pourtant là que l’on allait voir le résultat de mois et d’années de patrouilles, de blocus par tous les temps, un atout qui pouvait encore modifier la donne. De leur côté, les Français avaient passé le plus clair du temps confinés au port sans pouvoir s’entraîner à la mer. Si Remond avait mis un autre vaisseau que le sien en tête, c’était sans doute pour mieux observer et pour se donner le temps de préparer son escadre. Bolitho dit brusquement :

— Regardez donc comment leur vaisseau amiral se tient légèrement au vent du chef de file.

— Amiral ? fit Inch, toujours impassible.

— Si nous attaquons sans attendre que les quatre autres nous aient rejoints, j’imagine que l’amiral français décidera de diviser son escadre et de nous prendre simultanément des deux bords.

Inch s’humecta les lèvres.

— Tandis que les trois derniers de la ligne attendront à l’écart.

— Le Rapide a fait l’aperçu, amiral, annonça Stirling.

Allday monta l’échelle de poupe et alla regarder ce qui se passait sur leur arrière. Comme le Benbow semblait loin… De façon tout à fait judicieuse, Herrick taillait sa route vers la baie pour pouvoir virer à la fin de son approche et prendre l’avantage du vent. Mais cela allait demander du temps, beaucoup de temps.

On entendit une explosion sinistre et un boulet ricocha sur l’eau, à un bon mille de là. Le commandant du français de tête essayait ses pièces de chasse, sans doute dans l’intention de faire tomber, dans la mesure du possible, la tension qui devait régner à son bord.

Cela ne va pas l’aider, songea Allday, avoir ainsi son amiral accroché à ses basques et attentif au moindre de ses faits et gestes.

Il se retourna pour regarder le pont bondé de l’Odin. Il n’en resterait guère debout s’ils se trouvaient coincés entre deux français, sans aucun soutien. Était-ce bien cela que Bolitho avait décidé de faire ? Causer de telles avaries à l’ennemi que les rescapés devraient se battre contre Herrick à armes égales ?

— Dieu tout-puissant ! lâcha-t-il à haute voix.

Le sergent qui se tenait à la droite du rang de tireurs d’élite le plus proche lui fit un grand sourire :

— Alors matelot, on se sent nerveux ?

— Bon sang que non, lui répondit-il en faisant la grimace. Je cherche juste un endroit pour faire ma sieste !

Mais il se raidit en entendant Inch dire au maître pilote :

— Monsieur M’Ewan, l’amiral a l’intention de lofer lorsque nous serons à une demi-encablure. A ce moment-là, nous virerons de bord pour attaquer le second bâtiment de la ligne.

Allday vit le pilote branler du chef comme si sa tête n’était rattachée à ses épaules que par un bout. Le sergent lui glissa :

— Mais que se passe-t-il donc ?

Allday croisa les bras pour se donner le temps de réfléchir. L’Odin allait lofer et, le temps de venir dans le vent, se retrouverait sous le boute-hors du suivant. Il allait ensuite abattre et prendre de l’erre entre les deux bâtiments de tête. S’il y parvenait. La manœuvre était risquée, elle pouvait transformer l’Odin en boucherie, le tout en quelques minutes. Mais tout valait mieux que se faire balayer des deux bords en même temps. Il répondit d’une voix calme :

— Cela signifie, camarade écrevisse, que toi et moi allons avoir de l’occupation !

Bolitho observait la formation qui avançait vers eux, cherchant un signe, une volée de signaux qui trahirait la méfiance de Remond. Il s’attendait certainement à quelque chose, non ? Un tout petit soixante-quatre, contre cinq vaisseaux de ligne.

Il revoyait la silhouette noiraude de Remond, ses yeux sombres, intelligents. Il ordonna à Inch :

— Dites à la batterie basse de charger à la double. Pour les dix-huit-livres de la batterie haute, chargez à boulets ramés, je vous prie – et, sentant le regard interrogateur d’Inch : Je veux démâter le bâtiment de tête.

Il leva les yeux pour observer la flamme. Le vent se maintenait toujours aussi fort. Il allait se tourner vers l’arrière, mais se retint. Les officiers et les hommes qui se tenaient autour de lui pouvaient interpréter ce geste comme une marque d’inquiétude, s’imaginer que leur amiral cherchait un soutien. Mieux valait oublier Herrick, qui faisait de son mieux.

Graham, le second, salua Inch :

— Autorisation de faire rompre les fifres et les tambours, commandant ?

Bolitho jeta un rapide coup d’œil aux petites silhouettes en rouge. Il était si absorbé dans ses pensées qu’il n’en avait pour ainsi dire pas saisi une seule note.

Les petits joueurs de fifre, épuisés, allèrent se réfugier dans l’entrepont sous un concert de vivats amusés. Bolitho tâta la garde de ce sabre auquel il n’était pas habitué. Ils étaient encore capables d’applaudir.

Un nouveau départ éclata à bord du chef de file, le boulet souleva une colonne d’écume à trois encablures par le travers. Ce commandant français devait être sur les nerfs. Il est sans doute en train de m’observer, songea Bolitho. Il s’écarta du pied de l’artimon pour laisser le soleil jouer sur ses épaulettes dorées. Comme cela, se dit-il amèrement, il saura à qui il a affaire.

Il se détourna pour regarder un vol de mouettes qui criaillaient sous la lisse de dunette, totalement indifférentes à ce qui se passait. Elles étaient habituées à lutter tous les jours pour leur survie.

— L’amiral français établit ses perroquets, amiral, lui dit Inch.

Bolitho vit le flanc au vent du navire amiral émerger par le travers du chef de file. Il avait deviné les intentions de Remond. Désormais, tout dépendait de ce que feraient ses hommes.

— Inch, faites attention, la manœuvre est délicate… – il lui prit le bras en souriant – … encore que je n’aie guère besoin de vous expliquer ce qu’il faut faire, non ?

Inch ne se sentait plus :

— Merci, amiral, merci infiniment – et, reprenant son rôle de commandant, il se tourna vers son second : Monsieur Graham ! Rappelez les hommes aux bras !

Il s’adressa enfin à un enseigne qui se trouvait sur le pont principal :

— Monsieur Synge ! Les deux batteries ont-elles été rechargées comme demandé ?

L’officier leva les yeux vers la dunette et lui répondit, un peu confus :

— Oui commandant ! Je… j’ai oublié de vous rendre compte.

Inch fixa avec insistance le malheureux :

— Je suis content de vous l’entendre dire, monsieur Synge. J’ai cru un moment que je lisais dans vos pensées !

Plusieurs canonniers se mirent à ricaner, mais se turent instantanément lorsque l’enseigne, cramoisi, se tourna vers eux.

Bolitho examinait toujours les bâtiments français. Il arrivait à le faire sans éprouver d’émotion particulière, il se sentait plein d’allant et, de toute manière, il était trop tard pour reculer, qu’il eût tort ou raison.

— Parés à virer !

Les hommes qui attendaient près des bras et des drisses s’accroupirent en bandant leurs muscles comme des lutteurs qui se préparent à l’assaut.

M’Ewan surveillait le faseyement des huniers, l’angle de la flamme par rapport à l’axe. Près de lui, ses timoniers, cramponnés aux manetons, attendaient, rigides comme des statues.

— La barre dessous !

— Envoyez !

Le bâtiment réagit violemment à la rudesse de la manœuvre puis, après un instant qui leur parut une éternité, commença à entrer dans le lit du vent.

— A déhaler sur le gui ! Du monde aux écoutes de perroquet !

Devant leurs sabords, les chefs de pièce avaient les yeux rivés sur la mer vide, insensibles à la toile qui battait violemment, aux grincements du gréement, aux piétinements des pieds nus sur le pont.

Bolitho, qui se concentrait sur le chef de file, éprouva une certaine satisfaction en constatant qu’il conservait le même cap. Pourtant, ses officiers devaient se demander ce que faisait Inch. Ils s’étaient peut-être attendus à le voir craquer et virer lof pour lof. Les français de tête auraient alors ravagé la poupe de l’Odin avant de lancer les grappins et de l’écraser à bout portant.

Mais l’Odin répondait bien et passait le lit du vent, les voiles se gonflaient dans un grand désordre, les vergues pivotaient. Un éléphant aurait pu croire qu’il était désemparé et incapable de continuer, mais l’Odin continuait de pivoter lentement et finit par présenter son flanc tribord aux bossoirs de ses ennemis.

— Comme ça ! cria Graham dans son porte-voix.

Inch abaissa son sabre et, un pont après l’autre, les pièces de l’Odin, ouvrirent le feu : celles de la batterie haute à boulets rames, celles de la batterie basse à double charge.

Bolitho retint son souffle lorsque les coups des canons d’avant firent but. Le français commença à trembler violemment comme s’il s’échouait, à l’image de ce qui était arrivé au bâtiment de surveillance. Le bombardement continuait, les enseignes faisaient des allées et venues derrière les pièces, les tire-feu se tendaient. Dans la batterie basse, le spectacle devait être sensiblement le même, encore plus terrible peut-être, avec ces corps nus qui se pressaient autour des pièces culées dans leurs palans, avant d’écouvillonner et de recharger.

L’effet des boulets à chaînes ou des boulets ramés était plus facile à constater : Bolitho vit les voiles hautes et le gréement de leur adversaire basculer sur le côté, puis le mât de hune plongea dans l’eau en soulevant une grosse gerbe. Les débris firent immédiatement comme une gigantesque ancre flottante et le coltis de l’ennemi commença à tomber sous le vent.

— Dès que parés, les gars ! Feu !

Les doubles charges s’écrasèrent sur le bâtiment désemparé, bousculant les affûts et pénétrant dans les entreponts où elles firent des ravages. Plus haut, le gréement était fauché, la toile, de plus en plus exposée, était trouée de partout et réduite çà et là en lambeaux.

— Parés sur le gaillard d’avant ! hurla Inch.

La caronade tribord cracha des flammes et de la fumée, mais la hausse était trop forte et le gros boulet explosa contre le passavant de l’ennemi. Il ne toucha rien de vital, mais ses effets collatéraux furent dévastateurs. Une vingtaine d’hommes étaient occupés à dégager les espars et les cordages pendus à la traîne. Lorsque le boulet explosa tout à côté d’eux, la muraille se couvrit littéralement de sang, du pont à la flottaison. On eût dit que c’était le bâtiment lui-même qui avait été mortellement atteint et qui se vidait de son sang.

— Parés à abattre !

— A brasser les hautes vergues !

Quelques coups de faible calibre frappèrent la muraille et déclenchèrent une réplique immédiate des fusiliers de l’Odin, qui tiraient à travers une épaisse couche de fumée en poussant des hurlements et des vivats.

Bolitho sentait le vent lui caresser la joue, il entendait les voiles qui se gonflaient en désordre tandis que l’Odin venait vent arrière. Manœuvré par Inch, il avait tout d’une frégate, ce qu’il était loin d’être…

Une forte rafale chassa la fumée et il vit le vaisseau amiral français qui montait sur le bossoir tribord comme s’il y était pris. En fait, il était encore à une bonne encablure, mais suffisamment près pour qu’il réussît à distinguer son pavillon tricolore et sa marque, l’activité frénétique qui y régnait, alors que son commandant virait de bord pour tenter d’éviter le chef de file.

Bolitho attrapa une lunette et essaya de la caler, le temps pour ses pièces de cracher une nouvelle bordée contre le français désarmé. Il sentit le pont monter sous ses pieds, il aperçut les yeux hagards des canonniers tout proches qui se jetaient sur les palans pour retenir leurs dix-huit-livres encore fumants.

Lorsqu’il réussit enfin à voir quelque chose, il aperçut la large poupe et la galerie dorée du vaisseau amiral, puis déchiffra son nom sur le tableau : La Sultane. Il avait l’impression qu’il aurait pu le toucher en tendant la main.

Il releva légèrement sa lunette et aperçut quelques-uns des officiers. L’un gesticulait en montrant les vergues, un autre s’épongeait le visage comme s’il subissait une pluie tropicale.

Pendant un bref instant, juste avant la reprise du tir, il distingua le haut chapeau du contre-amiral, puis, comme il se dirigeait d’un pas vif vers l’arrière, son visage.

Bolitho laissa retomber sa lunette et les minuscules silhouettes disparurent. Il n’y avait pas à s’y tromper. Le contre-amiral Remond, voilà quelqu’un qu’il n’oublierait jamais. Allday surprit son expression et comprit aussitôt.

Beaucoup d’officiers généraux auraient accepté la proposition que lui avait faite le Français, une maison confortable, des domestiques, une vie dorée, sans rien d’autre à faire qu’attendre un échange. Cela montrait assez que Remond n’avait pas compris et ne comprendrait jamais un homme comme Bolitho, qui n’attendait que l’heure de la revanche.

Allday jugeait que tout ceci n’était qu’un élément de plus dans toute cette folie. Il était pourtant surpris de se sentir moins effrayé de ce qui pouvait arriver.

Bolitho, qui n’avait pas remarqué le soudain intérêt d’Allday, regardait le français désemparé. Il était toujours comme martelé par un feu roulant ; de minces ruisselets rouges s’écoulaient par ses dalots puis dégoulinaient le long de la muraille, comme pour montrer le prix que ses hommes avaient payé pour leur excès d’assurance.

Remond avait pourtant encore le temps de s’éloigner pour regagner l’estuaire de la Loire et la protection de ses batteries côtières. Il pouvait penser que l’insolence de l’Odin n’avait d’autre raison d’être que l’attente de renforts.

Bolitho se tourna vers la Phalarope. Herrick allait certainement se souvenir de ce jour où elle avait pris sa place dans la ligne de bataille pour combattre et subir les bordées de géants. Cela se passait aux Saintes et elle avait depuis rendu, coup pour coup, les avaries subies ce jour-là.

— Ils sont en train de reprendre la formation, amiral, lui glissa Inch.

Bolitho fit signe qu’il avait compris. Il avait vu les pavillons monter aux vergues de La Sultane. Quatre contre un, voilà qui n’était guère réjouissant.

— Ils sont en route de collision ! s’écria Inch, mais nous avons encore l’avantage du vent !

Le flanc du vaisseau amiral français brillait au soleil et Bolitho plissa les yeux. Quatre-vingts canons, plus encore que le Benbow. Il voyait toute l’artillerie en batterie, les pièces aveugles pointées vers la terre. Les vergues étaient remplies de marins qui se préparaient à saisir l’ennemi à bras-le-corps.

— Monsieur Stirling, où est donc notre escadre ? lui demanda lentement Bolitho.

Le garçon bondit dans les enfléchures avant de redescendre annoncer :

— Ils nous rejoignent à toute allure, amiral !

Lui aussi, toute crainte l’avait abandonné, et ses yeux roulaient dans tous les sens, pleins d’excitation.

— Restez à côté de moi, monsieur Stirling.

Il jeta à Allday un regard chargé de sous-entendus – l’aspirant avait cessé d’avoir peur au mauvais moment, cela aurait peut-être constitué son seul refuge.

— Inch, abattez d’un rhumb.

— Venir au sudet !

Il entendit un bruit de métal, Allday sortait son couteau de sa ceinture. A tribord, les canonniers avaient repris leurs postes près de leurs pièces. Remond aurait au moins une bonne raison de se souvenir de ce jour.

Bolitho dégaina son sabre et jeta le fourreau au pied du mât d’artimon.

Une chose était certaine : l’audace de l’Odin allait retarder les Français et Herrick aurait ainsi le temps de surgir comme un lion. Il esquissa un sourire : un vrai lion du Kent.

Inch et son second le virent sourire et échangèrent un coup d’œil, qui était peut-être le dernier.

— Fusiliers ! Sur un rang !

Le chef des fusiliers de l’Odin, très raide, faisait les cent pas derrière ses hommes, ayant l’œil à tout sauf à l’ennemi.

Allday se pressa contre l’aspirant et le sentit tressaillir. Allez vous demander pourquoi… Il regardait le lacis de haubans et de manœuvres, de vergues et de voiles qui grandissait au-dessus de l’Odin par tribord avant, à en masquer le ciel. Il tira un peu sur son foulard pour le desserrer, mais sans en être soulagé pour autant.

Stirling dégaina son poignard d’aspirant, le remit au fourreau. Au milieu de toutes ces voiles et de tous ces pavillons, c’était aussi dérisoire que de combattre une armée entière avec une épingle. Il entendit Allday lui dire en desserrant à peine les dents :

— Restez près de moi – et, faisant un grand moulinet avec son coutelas : L’affaire va être chaude, ça fait pas de doute.

— Lofez de deux quarts !

L’Odin s’éloignait ainsi légèrement de l’ennemi, La Sultane semblait pourtant de plus en plus grosse.

— Parés à faire feu !

Inch avait les yeux rivés sur l’étroit triangle d’eau qui se dessinait entre son bâtiment et le gros deux-ponts. Ils s’étaient écartés suffisamment pour démasquer leurs pièces.

— Feu !

Le vaisseau se mit à trembler au gré des départs irréguliers. Inch cria :

— Revenez à la route initiale, monsieur M’Ewan !

Bolitho vit que les marins du gaillard d’avant se jetaient sur le pont. Le boute-hors effilé du vaisseau amiral français passa au-dessus d’eux, tramant derrière lui des manœuvres coupées, résultat de leur bref engagement.

Des balles de mousquet sifflaient dans les airs, plusieurs d’entre elles vinrent s’enfoncer dans les hamacs ou claquer contre les volées des canons.

— Allez, on y va, fit vivement Inch – il assura sa coiffure sur sa tête et cria : Sus à eux, ceux de l’Odin !

Et l’univers tout entier explosa dans un gigantesque tremblement.

 

Il était devenu impossible de savoir à combien de reprises l’Odin avait lâché sa bordée sur l’ennemi ni de mesurer les avaries que lui avaient causées les canons français. Le monde semblait pris dans un nuage de fumée, troué çà et là par de fulgurantes langues orangées. Les canonniers tiraient et rechargeaient sans trêve comme des êtres privés de raison.

Pendant une brève accalmie, Bolitho crut entendre dans le lointain les notes plus aiguës de pièces de faible calibre. Il en conclut que le Ganymede et Le Rapide menaient leur propre affaire contre la frégate de Remond.

La fumée était très épaisse et s’élevait si haut entre les deux vaisseaux que tout le reste disparaissait. Les autres bâtiments français ainsi que Herrick et le reste de l’escadre pouvaient être au contact ou à un mille de distance, rendus sourds à ce qui se passait par le grondement de leurs propres canons.

Au-dessus d’eux, les filets fléchissaient lorsque y tombaient des morceaux de gréement ou des poulies. Trois fusiliers furent fauchés ensemble par une charge de mitraille et dégringolèrent des hauts comme s’ils se tenaient par la main. Leurs hurlements se perdirent dans le vacarme.

Un boulet vint s’écraser contre la lisse avant de labourer la dunette de part en part. Bolitho vit le pont et le pied de la bôme aspergés de sang. Le boulet avait fauché les rangs des fusiliers comme un gigantesque couperet.

— Lofez d’un quart, monsieur M’Ewan ! hurla Inch.

Mais le maître pilote gisait mort avec deux de ses hommes. Le pont était tout rouge là où ils étaient tombés. Un second maître pilote, pâle comme un mort, s’empara de la roue et, lentement, le bâtiment obéit.

Des fusiliers escaladaient les enfléchures pour gagner les hauts. Avec leurs mousquets, ils se joignirent bientôt à la mêlée générale, essayant de viser les officiers.

Bolitho grinça des dents : deux marins venaient de se faire balayer de leur pièce, sous la dunette. Le premier avait été décapité, le second hurlait de terreur en essayant d’arracher les éclis fichés dans son visage et dans son cou.

— Feu !

On apercevait par endroits, dans les trous laissés par les volutes de fumées, quelques scènes de courage ou de souffrance. Les ravitailleurs, de très jeunes garçons, couraient, le dos courbé sous le poids de leurs charges, allant d’une pièce à l’autre. Un homme maniait son anspect pour déplacer son dix-huit-livres, tandis que son chef de pièce lui criait des ordres par-dessus la volée noyée dans la vapeur. Un aspirant, plus jeune encore que Stirling, se frottait les yeux pour essuyer ses larmes devant les hommes de sa division. On emmenait son ami, un autre aspirant, qui s’était fait couper en deux par une charge de mitraille.

— Allez les gars, encore une fois ! Feu !

Allday se tenait tout contre Bolitho. Les balles de mousquet sifflaient et allaient se perdre en couinant. Des hommes tombaient, mouraient, d’autres hurlaient leur haine en tirant dans la fumée, rechargeaient, tiraient encore.

— Regardez là-haut, amiral !

Bolitho leva les yeux et aperçut quelque chose qui arrivait au milieu des volutes, loin au-dessus de sa tête, quelque chose comme une espèce d’étrange bélier.

La Sultane avait peut-être essayé de changer d’amure pour contraindre l’Odin à se rendre sous un déluge de feu. Son commandant avait-il changé d’avis ? Ou bien avait-il été abattu avant d’achever sa manœuvre ?

Cette espèce de crochet qui leur arrivait dessus était le bâton de foc de La Sultane. La fumée emprisonnée entre les coques s’élevait de toutes parts, Bolitho aperçut dans ce brouillard une vague silhouette, la figure de proue du français. On eût dit quelque terrible fantôme avec son regard fixe, sa bouche rouge vif.

Le bâton s’écrasa sur les haubans d’artimon de l’Odin, puis il y eut un grand, un long craquement lorsque la guibre de l’autre vaisseau se brisa et s’envola au vent avec des bouts de manœuvres, comme un fétu.

— A repousser l’abordage !

Bolitho sentit la coque trembler et devina qu’elle avait été gravement atteinte par la dernière bordée. Il ne voyait rien au milieu de cette fumée et des flammes, mais il entendit les cris d’alarme puis des hurlements lorsque le mât de misaine s’écroula dans un grand tonnerre. Le bruit réussit presque à étouffer celui des pièces, Bolitho sentit le bâtiment rouler violemment sous le poids du mât et de son gréement.

— Il ne répond plus à la barre, commandant ! cria le second maître pilote.

De longues flammes jaillissaient dans la fumée au-dessus d’eux, Bolitho vit des silhouettes qui se démenaient pour escalader le boute-hors de leur agresseur en s’agrippant aux étais et qui tentaient d’envahir le pont de l’Odin.

Ils furent pourtant freinés par les filets d’abordage. Un caporal, les yeux fous, se précipita sur les pierriers et tira le boutefeu. Le groupe déterminé des assaillants fut balayé comme rognures sur l’étal du boucher.

Au milieu de la fumée, Inch était partout à la fois ; il avait perdu sa coiffure, un de ses bras pendait, inerte. Il dit à Bolitho, les dents serrées :

— Il faut absolument nous dégager, amiral !

Bolitho aperçut le second qui faisait de grands moulinets avec son sabre pour rameuter des renforts afin de repousser la prochaine vague. Les pièces continuaient à faire feu, alors que la moitié de leurs servants étaient morts : cela tenait du miracle. Et en bas, les choses devaient être bien pires encore.

Il balaya rapidement des yeux cette scène de carnage et de désolation. Les deux vaisseaux étaient en train de s’entre-tuer, toute idée de victoire oubliée au milieu de cette folie.

Il aperçut Allday qui le regardait, Stirling était près de lui, le visage crispé comme pour ne pas entendre les sons et ne pas voir les images de ce qui se passait autour de lui.

La fumée se mit à trembler sous l’effet d’une nouvelle salve qui se répercuta en écho sur l’eau à la façon d’une éruption volcanique. Herrick était arrivé, il était aux prises avec le reste de l’escadre française.

C’est alors qu’un cri aigu le frappa comme un coup de poing dans l’oreille. Il ne s’agissait plus d’amour-propre, ni du besoin d’abattre le pavillon de l’Odin.

Remond veut ma vie. Il réalisa qu’il avait parlé tout haut, s’aperçut qu’Inch avait compris, vit Allday se raidir soudain.

Ils n’arriveraient jamais à se débarrasser à temps de La Sultane. Son artillerie allait finir de dévaster l’Odin, ou bien les deux vaisseaux étaient partis pour se livrer à un massacre insensé.

Bolitho essaya de surmonter l’espèce de folie qui le submergeait, sans y parvenir. Il sauta sur le passavant tribord et se mit à crier de toutes ses forces :

— A repousser l’abordage, les gars ! Avec moi, ceux de l’Odin !

Il ferma les yeux en entendant des balles de mousquet siffler, tirées par des tireurs invisibles. Voilà ce qu’aurait dit Neale.

Des marins coupaient les filets d’abordage pour se frayer un chemin, d’autres attrapaient des haches, des coutelas, la fureur de Bolitho semblait enflammer le pont supérieur, telle une arme terrifiante.

Graham, le second, sauta en l’air avant de passer par-dessus bord, le sabre à la main. D’on ne sait où, une pique d’abordage avait jailli comme un dard et, sans pousser un cri, Graham tomba entre les deux coques. Bolitho essaya de jeter un bref regard, il vit ses yeux qui le regardaient, puis les deux grosses coques se rapprochèrent et l’écrasèrent.

Bolitho glissa, se fit porter de main en main, jusqu’à se retrouver sur le gaillard d’avant ennemi. Il se fit encore bousculer, les gens de l’Odin arrivaient en nombre, hurlant comme des possédés en se taillant un chemin et en balayant toute opposition, jusqu’à atteindre enfin le passavant tribord.

Près des pièces, les canonniers qui tiraient toujours sur l’Odin les virent arriver, tout ébahis. Pourtant, les gueules des canons se cognaient presque au-dessus de l’étroite bande d’eau, au gré du lourd roulis de La Sultane.

Un aspirant français sauta des enfléchures et reçut un grand coup de hache entre les omoplates.

L’une après l’autre, les pièces de l’ennemi se taisaient, leurs servants attrapaient des haches et des piques pour défendre leur bâtiment contre cet assaut inattendu.

Bousculé, Bolitho se trouva porté le long de l’étroit passavant. Son sabre était coincé contre lui par les marins et les fusiliers qui avançaient en poussant des hurlements et des vivats.

Les balles sifflaient en tous sens, des hommes tombaient, mouraient, incapables de trouver un refuge, pris qu’ils étaient dans la bousculade.

Un officier qui se tenait à califourchon sur le passavant vit Bolitho alors qu’il se dégageait de ceux qui l’entouraient. Quelques-uns des assaillants avaient sauté sur le pont, en dessous d’eux, de petits groupes d’hommes se battaient çà et là, essayaient de reprendre leur souffle et de tuer leurs adversaires.

Bolitho tendit son sabre en avant, à hauteur de la ceinture, et aperçut l’officier qui hésitait visiblement.

Les deux lames commencèrent à faire de grands moulinets, crissant l’une contre l’autre. D’abord surpris, l’officier faisait maintenant preuve de la plus grande détermination. Mais Bolitho se cala contre une jambette de pavois et bloqua sa garde contre celle de son adversaire. L’autre perdit l’équilibre et, pendant une seconde, leurs visages se touchèrent presque. La peur les prenait, mais Bolitho ne voyait plus dans cet ennemi qu’un obstacle qui l’empêchait d’avancer.

Une rotation du poignet et une poussée, l’homme commença à tomber. Sa lame ne lui était pas familière, mais elle était rigide et Bolitho la sentit frotter sur l’os avant de se loger sous l’aisselle de son adversaire.

Il s’écarta d’un bond et courut vers la dunette. Il apercevait vaguement dans la fumée la ligne générale de l’Odin, forme festonnée de lambeaux de toile et de manœuvres rompues. On y voyait aussi des affûts désemparés, des silhouettes immobiles, bref le spectacle habituel d’un combat naval.

Bolitho était fou de rage et n’en courut que plus vite vers les silhouettes qui se battaient partout sur la dunette. L’air résonnait du cliquetis des lames, on entendait de-ci de-là quelques coups de pistolet.

Un marin donna un grand coup à un Français et lui coupa le bras. Hurlant de douleur, l’homme s’enfuit du mauvais côté pour aller s’empaler sur la baïonnette d’un fusilier.

Deux des matelots d’Inch, dont l’un était grièvement blessé, jetaient des seaux d’incendie du haut de la dunette sur la tête des Français qui se trouvaient en dessous. Ces bailles pleines de sable étaient aussi meurtrières que des pierres.

Une silhouette émergea de la fumée, sa lame fit sauter l’épaulette gauche de Bolitho, sans laquelle elle se serait enfoncée dans son épaule comme le fil dans le fromage.

Bolitho fit un bond de côté, un officier français essayait de se mettre en garde.

— Allez, mounseer, allez !

Bolitho vit le couteau d’Allday faire un grand arc de cercle, entendit un bruit semblable à celui qu’il aurait fait sur un morceau de bois.

Mais où Remond était-il donc ? Bolitho fouillait les lieux du regard, son bras droit lui faisait mal, il essayait d’estimer leurs progrès. Il y avait davantage de fusiliers à bord à présent, il aperçut le nouvel ami d’Allday, le sergent-major, qui parcourait une rangée de ses hommes. Sa pique faisait un bruit affreux chaque fois qu’elle s’abattait et fouaillait.

Remond se tenait près de l’échelle de poupe bâbord, protégé par quelques-uns de ses officiers. Bolitho et lui se virent au même instant et, pendant ce qui lui sembla durer de longues minutes, ils s’observèrent fixement.

— Rendez-vous ! lui cria Remond. Sans vous, vos bâtiments seront bientôt achevés !

Sa sortie ne lui attira que les rugissements des marins et des fusiliers britanniques qui avaient réussi à se frayer un chemin tout au long du pont. Bolitho brandit son sabre en criant :

— J’attends, amiral !

Son cœur battait la chamade, il savait qu’il s’exposait à être touché dans le dos par quelque tireur d’élite qui aurait encore eu le temps de viser soigneusement.

Remond jeta sa coiffure et lui répondit :

— Je suis prêt, m’sieu !

— Mille dieux, fit Allday, enragé, il a le sabre !

— Je sais.

Bolitho s’avança devant ses hommes, il sentait leur rage se transformer en curiosité. Voir son vieux sabre dans la main de Remond, voilà qui suffisait à lui donner l’énergie dont il avait besoin.

Ils allaient s’affronter dans un petit espace carré sous la dunette, un endroit déjà labouré par les boulets. Les marins et les fusiliers qui, quelques instants avant, étaient là en spectateurs les entouraient de près.

Les lames s’entrechoquaient, tournoyaient. Bolitho se battait prudemment, sa douleur à la cuisse risquait de le trahir.

Les lames se rapprochèrent, Bolitho sentait la force de cet homme, sa musculature impressionnante.

En dépit du danger, en dépit d’une mort peut-être imminente, Bolitho devinait la présence d’Allday tout près de lui. Il avait reculé pour le laisser affronter Remond seul à seul, mais c’était provisoire, car ce combat n’allait pas être l’épilogue de la bataille. En bas, dans la batterie basse de La Sultane, les hommes devaient savoir ce qui se passait, les officiers rassemblaient leurs gens pour repousser l’abordage.

Cling, cling, les sabres s’entrechoquaient en vibrant. Bolitho se souvint tout à coup, avec une précision étonnante, de son père usant de cette même vieille lame pour lui apprendre à se défendre.

Remond était tout contre lui, il sentait son odeur, ils étaient au corps à corps puis se séparèrent de nouveau.

Il entendait quelqu’un sangloter à grosses larmes et devina que c’était Stirling. Il avait dû suivre ceux qui montaient à l’abordage malgré les ordres contraires, il avait couru le risque de se faire massacrer.

Ils croient que je vais me faire tuer.

Cette pensée, tout comme la vue de son vieux sabre au poing de son ennemi, ranima chez lui une colère froide. Leurs lames se heurtaient, ils paraient les assauts, tournaient pour essayer de trouver une position avantageuse. Mais Bolitho sentait son bras faiblir.

Quelque chose se mit à remuer lentement au bord de son champ de vision. Il crut un instant qu’un second bâtiment français essayait d’attaquer l’Odin de l’autre bord, comme ils en avaient eu tout d’abord l’intention.

Sa respiration s’arrêta : ce n’était pas un vaisseau de ligne, ce ne pouvait donc être que la Phalarope. Tandis que l’Odin se colletait avec son puissant adversaire et que les bâtiments de Herrick en faisaient autant avec leurs homologues, la Phalarope avait réussi à franchir la ligne pour se porter à son secours.

Il poussa un grognement lorsque Remond réussit à lui porter un coup à la clavicule. Pour cette seconde d’hésitation interprétée comme un symptôme de surprise, Remond avait peut-être cru que Bolitho avouait sa défaite.

Celui-ci tomba en arrière contre les filets de branle et son sabre alla valdinguer sur le pont. Il eut le temps de voir les yeux sombres de Remond, un regard sans pitié, qui ne cillait pas et qui semblait suivre le tranchant de la lame jusqu’à son extrémité, jusqu’au cœur qu’il allait percer.

Le grondement assourdissant des caronades fut terrifiant et sema la confusion chez les spectateurs. La Phalarope passait sur l’arrière du vaisseau amiral français et faisait feu à travers les fenêtres et le pont inférieur, de la barre d’arcasse aux bossoirs.

Le bâtiment sursauta comme s’il partait en morceaux, Bolitho voyait des éclis, des fragments de mitraille passer à travers le pont ou ricocher sur la mer tel un nid de frelons que l’on dérange. L’un de ces fragments frappa Remond sans lui laisser le temps de porter la dernière estocade.

Il sentit qu’Allday l’aidait à se remettre debout, il vit Remond, tombé sur le côté, un trou de la grosseur du poing au milieu du ventre. Derrière lui, un marin anglais sortit du brouillard, vit que l’amiral agonisait et l’acheva en lui plantant son couteau jusqu’à la garde.

Devant la mine de Bolitho, Allday dit à l’homme :

— Doucement, matelot ! Trop c’est trop !

Il prit presque doucement le vieux sabre des doigts de Remond et ajouta :

— Il ne peut servir deux maîtres, mounseer !

Mais Remond avait déjà le regard fixe et n’entendait plus rien.

Bolitho prit le sabre à deux mains, le fit lentement tourner entre ses doigts. Autour de lui, ses hommes se félicitaient mutuellement et s’embrassaient, tandis qu’Allday, souriant mais toujours aux aguets, attendait que le dernier Français eût jeté ses armes.

Bolitho se tourna vers Stirling qui le regardait fixement, pris d’un tremblement incontrôlable.

— Nous avons gagné, monsieur Stirling.

Le garçon hocha la tête, ses yeux embués de larmes allaient l’empêcher de voir le spectacle et de le raconter à sa mère.

Un jeune lieutenant de vaisseau, dont le visage lui était vaguement familier, se fraya un chemin au milieu des marins et des fusiliers. Il aperçut Bolitho et le salua :

— Grâce au ciel, amiral, vous êtes sain et sauf !

Bolitho le regarda, l’air grave :

— Grâce à vous, mais est-ce tout ce que vous êtes venu me dire ?

Le lieutenant de vaisseau regarda tout autour de lui les morts, les blessés, les dégâts et les taches de sang laissés par le combat.

— Je suis venu vous dire, amiral, que l’ennemi s’est rendu. Tous à l’exception d’un seul, qui essaye de gagner la Loire et que le Nicator poursuit.

Bolitho détourna les yeux. La victoire était totale, plus totale que Beauchamp n’eût osé l’espérer. Il se tourna vers l’officier :

— De quel bâtiment venez-vous ?

— De la Phalarope, amiral. Je m’appelle Fearn, second par intérim.

Bolitho le fixait toujours :

— Second par intérim – il vit l’officier reculer un peu, mais il ne pensait qu’à son neveu. Le lieutenant de vaisseau Pascœ est-il… ?

Il n’arrivait pas à prononcer le mot.

Le lieutenant de vaisseau respirait bruyamment, soulagé de ne pas avoir commis d’impair.

— Oh non, amiral ! Le lieutenant de vaisseau Adam Pascœ a pris le commandement – il baissa les yeux, comme s’il venait seulement de comprendre que lui aussi avait survécu. Je crois que le commandant Emes est tombé alors que nous franchissions la ligne française.

Bolitho lui pressa vigoureusement la main.

— Retournez à votre bord et transmettez mes remerciements à vos hommes.

Il le suivit sur le passavant jusqu’au moment où il aperçut un canot accosté le long du bord.

La Phalarope était là, tout près, elle avait mis en panne. Ses voiles étaient trouées de partout, mais les caronades étaient en batterie, parées à ouvrir le feu.

Il se souvint de ce qu’il avait dit à Herrick, après la bataille des Saintes, en parlant des autres bâtiments. Bolitho lui avait alors répondu : « Ils ne sont pas comme le nôtre, ils ne sont pas comme la Phalarope. »

Il n’y aurait pas besoin de le dire à Adam. Car, comme Emes avant lui, il l’aurait certainement découvert tout seul.

Il vit Allday rouler le pavillon français qui avait survécu à son amiral. Bolitho le prit, le tendit au lieutenant de vaisseau.

— Mes compliments à votre commandant, monsieur Fearn. Remettez-lui ceci – il baissa les yeux sur son vieux sabre et ajouta doucement : Nous pourrons tous honorer ce jour.

 

Victoire oblige
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